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L’utilisation des eaux usées pour l’irrigation est davantage encadrée

Dans le cadre du plan eau, le gouvernement s’est fixé comme objectif de valoriser 10 % des eaux usées traitées d’ici à 2030, contre 1 % actuellement.

L'arrêté qui revoit les normes de qualité microbiologique pour la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) en agriculture est enfin paru. Autres polluants, responsabilités, stockage… Plusieurs points restent en suspens.

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Sa publication était attendue depuis plusieurs mois : l’arrêté qui met à jour la règlementation encadrant la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) a été publié le 28 décembre 2023. Il modifie les dispositions de l’arrêté du 2 août 2010 qui s’appliquait jusqu’alors, en y intégrant des exigences de la nouvelle règlementation européenne (n° 2020/741). Celle-ci est entrée en vigueur le 26 juin 2023.

« La France suit le cadre européen, sans imposer de normes supplémentaires », salue Sabine Battegay, animatrice d’Irrigants de France, qui juge le texte « tout à fait satisfaisant ». Elle souligne que « le règlement européen va beaucoup plus loin en termes sanitaires que le texte français qui s’appliquait jusqu’alors. Réutiliser les eaux usées traitées pour les nouveaux projets sera synonyme de davantage de contraintes sanitaires. »

Des classes et des « barrières »

Le texte révise ainsi à la hausse des exigences pour atteindre les quatre classes de qualité, allant de A (la plus restrictive) à D. Par exemple, pour prétendre à la classe A, une eau ne devra pas contenir plus de 10 Escherichia coli pour 100 ml, contre 250 auparavant. Les normes sont « plutôt contraignantes, mais permettent de sécuriser les choses d’un point de vue sanitaire, et de rassurer les consommateurs », juge Sabine Battegay.

Pour chaque catégorie d’usage sont précisées les classes d’eau utilisables. Par exemple, pour irriguer une culture dont la partie comestible est directement en contact avec l’eau et consommée crue (fruits et légumes… ), la classe A est autorisée, tout comme les classes B et C mais sous conditions de mise en place d’une ou plusieurs « barrières ». L’arrêté introduit en effet cette notion, qui correspond à des mesures qui permettent d’utiliser une qualité d’eau usée traitée moindre. Citons le lavage à l’eau potable, l’irrigation localisée, ou encore l’interruption de l’irrigation avant récolte. Pour les fourrages frais et pâtures, les classes A et B sont autorisées sans conditions, tandis que la classe C nécessite deux barrières. Les cultures industrielles, énergétiques et semencières peuvent être irriguées avec toutes les classes d’eau.

Qualité microbiologique

Plusieurs questions majeures n’entrent pas dans le périmètre de ce texte. D’abord, en ligne avec la règlementation européenne, l’arrêté fait principalement le focus sur la qualité microbienne (bactéries, virus, protozoaires). Perturbateurs endocriniens, micropolluants, métaux lourds, résidus médicamenteux ou de détergents… Aucun seuil n’est pour l’heure défini pour ces autres catégories de polluants dans le cadre de la REUT en irrigation agricole.

Pour Emmanuel Ferrand, agriculteur et maire de Saint-Pourçain-sur-Sioule (Allier), c’est une préoccupation majeure. Sur la station d’épuration de sa commune, il a fait installer un traitement tertiaire (traitement à l’ozone et charbon actif). C’est l’une des seules en France à en être équipée. « Je fais régulièrement des analyses, et nous en retrouvons des quantités phénoménales en entrée de station d’épuration. » Il explique que ces systèmes de traitement dégradent en partie un certain nombre d’éléments, mais pas à 100 %, même avec un traitement tertiaire.

« Il y a d’autres exemples, comme les boues de stations d’épuration, qui montrent qu’il faut être attentif à ces éléments, c’est évident », commente Sabine Battegay. La directive européenne sur les eaux résiduaires urbaines, en cours de révision, pourrait imposer le traitement des micropolluants à la sortie des stations d’épuration par oxydation et/ou adsorption (charbon actif). Reste la question du coût de ces installations. Les habitants de Saint-Pourçain-sur-Sioule payent par exemple un supplément de 60 à 70 centimes d’euro par m³ d’eau potable pour financer le traitement tertiaire, sur le principe « pollueur/payeur ».

Notions de responsabilité

Autre point qui n’est pas développé dans l’arrêté : en cas de problème sanitaire, qui porte la responsabilité ? « Le texte prévoit que soit rédigé un document d’engagement entre les parties prenantes, souligne Sabine Battegay. Il précise que les responsabilités sont identifiées lors des démarches d’évaluation et de gestion des risques. » Ce sont là les seuls éléments sur le sujet. « Cela pourrait être un frein », estime-t-elle.

Emmanuel Ferrand considère que « l’on fait prendre à l’agriculteur et au transformateur la responsabilité de ce qui peut arriver. Car la mise en place d’un certain nombre de barrières, qui ne me semblent par ailleurs pas suffisantes, revient à l’utilisateur. Comme le fait de peler les légumes avant de les vendre. On se retrouve avec une démarche intellectuelle très proche de celle des pesticides. » Le texte définit également des distances à respecter à proximité de zones sensibles (plan d’eau, abreuvement du bétail…) et pose diverses conditions d’utilisations (saturation du sol en eau, pente de la parcelle, vitesse du vent… ).

En l’état, le texte encouragera-t-il de nouveaux projets ? Pour Sabine Battegay, il est « très difficile pour l’heure de dire s’il sera positif pour le développement des projets de REUT, en raison du modèle économique. » La question qui se pose en effet est celle-ci : « Qui payera les surcoûts, si surcoût il y a ? » Mais elle tempère : « S’il y a une volonté politique très forte et un équilibre économique trouvé, des dynamiques peuvent se mettre en place. Il n’y a pas de raison. »

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